En pleine science fiction... et pourtant si banal
Un clone Pentium 4. Pas de quoi se taper le der au plaf. Et pourtant, à l'heureuse époque où nous pondions notre foutue thèse de maîtrise en piochant de peine et de misère sur une Smith Corona portative, si le Fantôme des Noëls à venir nous avait attrappé par les schnolles - bref, par la crinière - pour nous faire exécuter un fast forward dans l'espace-temps et nous en montrer un... on serait tombé à genoux les larmes aux yeux en maudissant le sort qui nous contraindrait à attendre encore trente ans pour en disposer.
Comme quoi l'avenir est inimaginable et dès qu'il devient moment présent, on balaie du revers de la main les merveilles dont il nous comble, infiniment au-delà de nos rèves.
Cette machine conjugue traitement de textes, chiffres, images, bases de donnée. Elle s'adapte au montage de films, à la composition musicale. Dans Internet, elle ouvre une fenêtre sur le monde. C'est grâce à elle que je conçois et diffuse ce petit blog. Elle me permet de relancer mes amis parisiens et orléanais au visiophone. Star Treck. Nous vivons en pleine science fiction. Mais le souligner est aussi inattendu, sinon risible, que de porter aux nues sur un ton révérenciel les réseaux de communication téléphonique par satellite. Voilà pourquoi la science ne peut être la religion du XXIe siècle. Les bienfaits de ses acquis, impensables il y a une décennie à peine, sont si transparents qu'ils n'avivent pas notre goût du mystère, ne suscitent pas la tension du désir, soit du manque, et sont banalisés dès leur apparition. Alors qu'ils transfigurent nos vies.
Il y a presque un an déjà, au printemps 2006, je me suis envolé vers Paris pour y atterrir après quelques six heures de vol. À l'époque de Lafayette, la traversée de l'Atlantique pouvait durer plus d'un mois. Un groupe de chaleureux amis -- connus sous les pseudos Sarahh. Bienveillant, Cheyenne, Buttineur et Sabine --, avec lesquels j'avais pris contact sur MSN au cours des semaines précédentes, m'a accueilli à la terrasse d'un bistro en m'offrant une bouteille de champagne en guise de cadeau de bienvenue. J'ai demandé au garçon, qui a fait preuve d'une aimable complaisance, s'il pourrait mettre ledit champagne au frais pour nous le proposer à tous au dessert, ce qui m'éviterait de sombrer dans les affres d'un alcoolisme solitaire. À l'arrière plan, nous entendions les échos du match de foot à la télé entre la France et l'Espagne, les hourras des supporters couvrant la conversation par déferlantes successives avec des accents de corrida.
Une fois la note réglée, nous avons roulé sur les boulevards de la Ville lumière où les fêtards en liesse célébraient la victoire de la France. Autour de nous, le flot de la circulation filait allègrement dans un concert de klaxons. Certains enthousiastes cabrés sur le rebord de la fenêtre avant, brandissaient à bout de bras le tricolore en gloire. La soirée s'est terminée aux pieds de la tour Eiffel qui campait au-dessus de nous son immense entrejambe. Elle dressait dans l'ombre chaleureuse d'une soirée de juin sa tête altière, hérissée d'antennes et dardant les faisceaux lumineux de son double gyrophare. Issus d'un incandescent diadème ils balayaient largement la nuit étoilée. Sa masse monumentale dont les courbes convergeaient avec grâce vers son pinacle perpétuait à notre bénéfice le souvenir d'un Âge de l'acier et de la vapeur où la technique affirmait sa foi puissante et naïve pour marquer jadis le bicentenaire de la Révolution. Et au moment des au revoir, je savais que Français d'Europe et d'Amérique, fils et filles d'un nouveau siècle, nous étions citoyens du Monde, réunis aux pieds de cette colossale et scintillante maîtresse, à cette croisée des chemins, à cet instant fugace, par la toile immatérielle de l'Âge de l'information tout à la fois point de convergence et point de départ vers l'inédit.
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