À l'ombre des jeunes filles en fruit

Quel charme trouble dégagent ces demoiselles parvenues à maturité et dont les comportements appellent encore des mesures que l'on croirait être le fait de la prime jeunesse ! Un éducateur expert saura conjuguer tendresse et rigueur à leur bénéfice et voilà ce qui fait l'objet de notre réflexion.

3/28/2007

Pascal Sellier - Prise III





Mon cher André,

Merci pour la mise en scène de notre dialogue. La symbolique Vénitienne convient parfaitement à notre échange de missives que l’on pourrait imaginer être convoyés par des messagers bravant mille dangers, à cheval ou en frégate transatlantique dans le seul but de nous permettre de disserter aimablement, comme cela se faisait pendant le Siècle.

Venise, ses intrigues, ses palais, ses masques, ses plaisirs badins, ses douceurs badines et ses badines sévères… Ses corridors résonnant de multiples cris de plaisir, douleur, joie et sûrement parfois de peine.
Merci encore pour veiller à mon anonymat, mais Pascal Seiller ne sont ni mon prénom ni mon patronyme. Le premier étant le reflet de mon attachement à la rigueur mathématique de Descartes, le second, le nom d’un voisin de palier de mes parents. Pas de code secret, d’anagramme ou d’analogie possible. Un pseudo sous lequel j’évolue sur la toile comme j’avancerais masqué sur le bord du Grande Canale.

Le Grande Canale, un soir de Mars, que j’arpente d’un bon pas pour me rendre à un rendez vous secret, délicieusement extrême, dont je rentrerais à l’aube, soupirs, murmures et cris chatouillant encore délicatement mes trompes d’Eustache. Les yeux encore emplis des rondeurs diaphanes que j’aurais, tour à tour apprécié, dévoilé et palpé avant de dessiner à la baguette, au martinet, des figures géométriques plus sombres comme autant de signes cabalistiques sur deux lunes jumelles. Rotondités qu’ensuite j’aurais, à la main cette fois, couvert d’un voile uniforme, rosacé, à peine moins soutenu. Ce cérémonial accompli, j’aurais ensuite signifié à la belle mes velléités de perquisition manuelle, puis sexuelle de ses intimités. Et jusqu’au matin, ses larmes, ses cris et ses soupirs auront été mes seuls guides dans la recherche du plaisir, du mien et du sien.

Et quand à peine rajustée, je l’ai raccompagnée à la chambre de son mari, ce dernier a constaté au premier coup d’œil inquisiteur et concupiscent, le rouge de ses joues, le brillant de ses yeux, le désordre de son maquillage et de sa coiffure, son air vaguement absent, autant de signes que la nuit fût bien telle qu’il l’avait imaginée à l'écho de nos ébats. Et quand de sa voix lasse et rauque, elle lui murmura, « Je t’aime… » Il l'accueillit dans ses bras. Attendri que sa belle ait pu hurler à perdre la voix, pleurer à en avoir les yeux secs, pour que lui ait le plaisir que je lui raconte et qu’elle lui raconte cette nuit de perdition.

Pourquoi reste t-il impassible, énigmatique, comme une montagne sous la pluie devant le récit de débordements qu'il autorise et commandite ? La richesse d'un grand industriel et l'exercice du pouvoir commercial qui rejoint chacun de nous dans le quotidien lui ont-ils démontré que l'insatiable désir nous éperonne à poursuivre un mirage fuyant, à pourchasser un arc-en-ciel pour ne jamais l'attrapper ? A-t-il connu l'Éveil portant sur toutes choses le regard pertinent qui en devine la vacuité ? Nous considère-t-il comme des poulains folâtres lâchés dans la steppe, ivres de galopades ? Et pourquoi fait-il preuve d'une inexplicable complaisance devant les frémissements égarés d'une femme beaucoup plus jeune, infiniment plus ignifuge et dont les nerfs tendus, les sens affolés par un imaginaire qui s'amuse à se débrider réclament des délices toujours plus inédites et plus ensauvagées ? Est-ce le prix convenu pour qu'elle lui revienne à l'aube ?

« L’esclave fait le maître. » disait Nietzsche. C’est elle qui décide, c’est elle qui souffre, c’est elle qui jouit. C’est elle qui jouit de se livrer… Et tandis que je déploie les trésors d'ingéniosité qui font de moi le maître à danser et à faire danser de ce bal des sanglots et des râles... lui s'est hissé par la discipline de la méditation à une souveraine altitude… De là, il considère avec équanimité nos ébats.

Je la fesserais souvent, les mois suivants, je la baiserais aussi… A Venise, puis à Paris. Avec le consentement de son philosophe de mari, convaincu que nous épuiserions inévitablement les ressources de ces vanités au fil de déjantements qui peuvent se conclure à l'hôpital s'ils ne vous catapultent pas dans le caniveau.

Nous avons exploré ensemble tous les méandres de nos désirs. Elle fût mon esclave, mon objet, par le fait d'une complaisance dont j'appréciais tout le prix, toute l'adorable valeur.


J’emploie à dessein ces termes définitifs. Elle le fût, vraiment. Mais, elle le fût parce qu’elle l’avait DÉCIDÉ. Elle ne prenait jamais autant de plaisir que quand elle n’était plus. C’est une sensation assez paradoxale que nous avons souvent évoquée ensemble. Ne plus être, devenir un objet qu’on manipule, qu’on montre, qu’on utilise la plongeait dans un état second, une extase d'irresponsabilité abandonnée qui lui procurait in fine des orgasmes dévastateurs.

Son mari était désormais exclu de nos jeux. Pourquoi bafouer la généreuse libéralité que sa philosophie, et sans doute sa sagesse, nous accordait ? Nous ne lui racontions, chacun de notre côté, que ce que nous voulions bien lui dire. Des alibis compatibles avec les traces laissées sur son corps par mes fantaisies ; traces qu’il caressait longuement comme s'il consultait la carte d'un pays inconnu, d'une contrée lointaine dont les territoires hier encore vierges et aujourd'hui conquis portaient la mention « Hic Sunt Leones ».

Richissime armateur d'une expédition que des navigateurs plus hardis devaient mener à bien, il assurait à son épouse un train de vie hors du commun, mais ne savait pas cingler en haute mer ou sonder les vertigineux abîmes où elle rêvait de s'abolir. Elle ne l’aurait quitté pour rien au monde, voilà ce qui formait l'essentiel de leur contrat, et l’idée ne nous a jamais effleuré ni l’un ni l’autre.

Elle se prénommait Irène et avait pour meilleure amie Juliette.

Irène m'a présenté Juliette un soir, à la fin de l’avant première Presse d’un film dans lequel celle-ci voyait son étoile émerger. Percée réalisée à la force du poignet, grâce à un de ces petits miracles de travail consenti loin des feux de la rampe avec une énergie déterminée qui muscle l'âme et forge l'esprit.

Nous avons été dîner ensemble à La Coupole avec une escouade de starlettes sémillantes et camarades rigolards, membres de l'équipe de production, agents de presse et techniciens qui tenaient à s'offrir la tournée des grands ducs pour marquer le coup.

Entraînées dans cette nouba, Irène et Juliette faisaient une joyeuse paire, régnant en conviviales maîtresses sur la petite troupe qui sablait le champagne comme un équipage de sous-mariniers en perdition. Le chef de la bande, attaché de Presse de son état, sonna le rassemblement pour finir la soirée chez Castel. Irène me saisit par un bras et Juliette par l’autre et nous nous sommes enfournés dans un taxi. Une fois installés, nos demoiselles qui échangeaient un aimable babil à peine audible éclatèrent de rire pendant un long moment. Les deux jeunes femmes se calmaient à grand-peine. Les larmes aux yeux, Irène réussit à articuler « Au Bristol, s’il vous plait… »

Irène essuyait ses yeux brillants avec son mouchoir. Ils étaient baignés de larmes, mais rieurs, leur expression n’avait rien à voir avec la lueur indéfinissable que j’y trouvais quand après l’avoir longuement fessée et fouillée, j’allais et venais dans sa bouche toujours plus loin, frôlant la luette pour m’épancher au fond de sa gorge.

Je contemplais en souriant Juliette qui, elle aussi, tamponnait avec précaution le dessous de ses yeux. Elle ne pouvait sûrement pas imaginer qu’à ce moment derrière mon sourire poli, je cherchais à imaginer la tonalité de ses cris sous la fessée ou, j'avoue, la saveur de son sexe.

Il était plus de deux heures du matin et nous étions les derniers clients du bar du Bristol.

Après plusieurs vodka citron, Irène, femme libérée désormais affranchie, avait de moins en moins de retenue dans l’évocation de notre relation, de ses tenants et aboutissants.

Juliette riait franchement des anecdotes de son amie. Irène lui raconta dans le détail comment un soir, de retour de la forêt de Compiègne elle m’avait gratifié d’une somptueuse fellation, mais qu’elle avait oublié qu’il n’y avait pas de mouchoirs dans la voiture. Elle finit là son histoire, par un amusant raccourci, en concluant que ça avait un arrière goût de noisette et que depuis lors, elle appréciait.

Juliette, nullement gênée, pouffa de rire. Il régnait une douce complicité entre les deux jeunes femmes et elles m’y associaient volontiers. Plus le temps passait, plus je sentais qu’Irène s’échauffait. L’alcool, autant que la fin de soirée que nous avions prévue, orientait maintenant invariablement ses propos sur le sexe. Elle questionnait Juliette sur ses aventures passées et présentes, sur ses préférences. Juliette répondait en renâclant, par oui ou par non, aux questions diablement indiscrètes de mon intenable partenaire.

Puis vint le moment psychologique. Irène passablement éméchée lâcha sur un ton badin :
« Tu sais qu’il me donne la fessée… Il me fouette même parfois … et le pire… le pire, c’est que j’aime ça… ça me fait jouir… »
Le regard que me jeta Juliette à ces mots était indéchiffrable. Tout ce que je pus dire alors, c’est qu’il n’y avait pas dans ses yeux la désapprobation voire le mépris que peuvent afficher des profanes.


Irène continua :



« Tu as déjà essayé… ? Je veux dire, la fessée érotique… »

Juliette, les mains sagement croisées sur ses genoux, ne rie plus. Elle me regarde et murmure :
« Si… enfin… non… Non, je n’ai jamais essayé… »

Je fus pris d’un vertige. Je devais me tromper. Elle n’avait pas dit ce que disent en général les femmes à qui on parle de fessée érotique, le sempiternel « Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir d’érotique là dedans, se faire fesser par plaisir ? il faut être dérangé… »

Non, chez Juliette, rien de tout ça. Juste ses yeux fixes, marrons, liquides, aux prunelles dilatées, et dont je n’arrivais pas à me détacher.
Puis elle sembla sortir d’un songe et regardant sa montre, s’écria :

« Oh… trois heures.. Il faut que j’y aille, j’ai un agenda de dingue demain… »


En sortant du Bristol, sur le trottoir, nos chemins allaient se séparer. Juliette rentrait chez elle et Irène et moi allions finir la nuit tous les deux chez moi et moi en elle.
« Il faut que je sache. Il faut que je sache. » Glisser ma carte dans sa main… ? Nul ! Lui glisser à l’oreille « Si un jour vous voulez essayer la fessée, je suis à vous ? Nullissime !

Au moment des adieux, je me suis lancé, au risque de me conduire comme un impertinent goujat :

« Quand vous aurez décidé du jour, quand vous vous sentirez prête, appelez Irène, je serais très honoré d’être votre professeur, avec son accord bien sûr… »
Elle me dévisagea un instant, puis son regard croisa celui d'Irène interloquée, et sans un mot elle tourna les talons pour filer vers un stand de taxi où deux voitures attendaient leur ultime client de la soirée.
Irène et moi étions maintenant seuls sur le trottoir, comme deux poivrots. Piquée au vif, elle monta le ton. De fait, elle était à un cheveu de l'algarade que nos conventions excluaient :
« Alors, comme ça, je ne te suffis plus… Monsieur rêve aux fesses de ma meilleure amie, maintenant… et tu veux en plus que je joue les entremetteuses ? »
Faisant abstraction du premier membre de sa phrase, par ailleurs inexact, je réponds à la deuxième proposition comme si cela allait de soi.

« Quand tu en parleras avec elle, ne lui cache rien… dis lui tout… »

Elle me regarde, dégrisée :

« Comment ça tout… même les pinces… les liens… »

« Dis lui tout… avoue-lui le plaisir que tu en tires… décris lui cette volupté au mieux… C’est ta meilleure amie, tu n’as pas envie de partager ce secret de l'ardeur absolue avec elle… ? Il y a de fortes chances qu’elle ait les mêmes penchants que toi… Je l'ai deviné quand tu as parlé de fouettée… Et ce n'est pas moi qui devrait l'initier, mais toi... N'as-tu jamais rêvé de changer de registre ? De procurer l'extase que tu vis ? »

Cette Juliette sera d’ici peu à votre porte…

Bien à vous

Pascal